Les Débuts
Une des plus graves erreurs â propos de la photographie de mode est de ne la faire débuter qu'au xxe siècle. L'opinion générale, croyant qu'Edward Steichen et le baron de Meyer étaient, comme ils le prétendaient, les pionniers dans ce domaine, attribua la primauté aux Américains, ignorant ainsi le rôle que jouèrent les photographes de mode parisiens dès 1881.
II était bien normal que Paris soit la première ville où la photographie s'intéressât à la mode; la mode y était en effet considérée comme une affaire importante, et Paris pouvait se vanter d'avoir non seulement les meilleurs couturiers et mannequins, mais aussi toute une industrie tournée vers la production et le commerce de la mode. Comme Cecil Beaton, photographe de mode britannique, l'explique, il n'y avait qu'à Paris que l'on pouvait trouver cet intérêt du public pour la mode et cette passion pour ses aspects les plus raffinés : « Si un Anglo-Saxon décide d'écrire une étude de la mode et des arts mineurs, il sera sans doute accusé de verser dans la frivolité... Peut-être est-ce en raison de notre répugnance innée aux loisirs que nous, Anglo-Saxons, sommes si peu enclins à priser cet art. En cuisine, par exemple, les Anglais ou les Américains, inconsciemment pénétrés de l'idée de Benjamin Franklinle temps c'est de l'argent-, trouveront certainement absurde qu'un Français puisse consacrer tant d'heures à la préparation d'une simple sauce. Mais le Français, que l'on a pourtant accusé d'avoir l'âme mercenaire, n'a jamais regardé au temps qu'il consacrait à une création pourtant bien éphémèr'. »
En France, la toilette revêtait beaucoup d'importance, mais, en outre, était considérée comme un moyen d'exprimer sa personnalité. Preuve nous en est donnée avec l'album des 288 photos de la comtesse de Castiglione, créé par Mayer et Pierson en 1856 2. La comtesse, charmante et spirituelle dame de l'aristocratie toscane dont l'influence fut fort importante à la cour de Napoléon III, illustre bien l'intérêt des Français pour la mode et la photographie. L'album suggère que la comtesse fut parmi les premières femmes séduites par l'objectif; on ne connaît aucun recueil antérieur d'un modèle montrant un tel désir d'être photographié 3 ». Ces photos révèlent non seulement la passion qu'avait la comtesse pour les toilettes somptueuses et raffinées de la haute couture française, mais aussi son sentiment que cette toilette, et par conséquent son style personnel, constituait un élément essentiel de sa beauté. Des détails de plusieurs de ses robes ont été coloriés à la main pour bien mettre en évidence la couleur et la richesse du vêtement. Une des photos les plus frappantes, où ses jupes légèrement relevées laissent voir une chaussure à là dernière mode, illustre bien le rapport existant entre sa personnalité et sa façon de s'habiller.
Dès les années 1850, des photos visèrent à ridiculiser la mode, mais ces documents sont plus intéressants sur le plan du commentaire social que sur celui de la mode. La London Stereoscopic Company, et peut-être d'autres firmes, produisit des jeux de photos de mode. L'une d'elles montre un homme - sans doute J.P. Worth, le plus grand couturier deParis - coincé dans la crinoline qu'il avait inventée pour élargir les jupes des femmes dans des proportions aussi excessives qu'incommodes. La crinoline était la cible favorite des vues stéréoscopiques et aussi des gravures sur bois reproduites dans les journaux comme l'lllustrated. L'un d'eux montre une femme emportée par sa jupe à crinoline comme un parapluie dans une bourrasque. Une autre vue satirique montre le couturier simplement et sobrement vêtu, tandis qu'à ses côtés, la cliente exhibe fièrement une toilette étourdissante. Cesimages montrent, peut-être pour la première fois, le point de vue de l'homme de la rue, ridiculisant la haute couture et les excès de la modeféminine. II est toujours extrêmement difficile de démêler ce qui est véritable photo. |
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